La vie est éphémère. Notre existence, est éphémère. Et pourtant, on la fait durer le plus longtemps possible, car c'est le but, pas vrai ? C'est ce que je m'obstine à faire. Ne jamais baisser les bras, ni la tête, coûte que coûte. Protéger les siens avant soi, devenir quelqu'un, quitte à pencher du mauvais côté. C'est certainement ce qui fait que je me retrouve là aujourd'hui : en cage. Je n'ai eu que ce que je méritais, certes. On est tous là pour une raison. On paye tant d'années de notre vie pour une raison. Mais cette raison, vaut-elle la mort ? Pour certains oui, pour d'autres non. Et comme je suis mal placé pour en juger de mon cas, je fais taire tout commentaire là-dessus.

Vingt-heure trente précisément. Nous sommes tous assis sur nos chaises, devant le poste de télévision. On attend cette émission, celle qui va nous fixer bien vite. Je l'attends plus particulièrement, puisque je n'ai aucune raison d'y échapper : le destin n'a jamais été tendre avec moi. Tout à coup, l'écran grésille, devient noir, et une nouvelle présentatrice apparaît. Superficielle, peinturlurée, trop colorée, un autre artifice du gouvernement, tout aussi faux que ce dernier. Elle semble tellement joyeuse. Joyeuse et un peu trop gourde, comme si elle se réjouissait qu'on crève. La gamine écervelée reprend la parole, nerveuse et excitée. Les deux premières identités, je ne les connais pas. Tant mieux, d'un côté. La troisième en revanche...

Je déglutis péniblement, je pâlis. Je crois que je n'arrive même plus à me concentrer sur la voix de la présentatrice. Les yeux dans le vide, je passe mes mains sur mon visage. Pourquoi moi, hein ? J'vais peut-être crever. Peut-être, car je préfère rester optimiste, plutôt que de m'enterrer d'avance. Et les noms résonnent, encore, dans mon esprit. Meadow Fishnet. La soeur d'Aaron, certainement. Travis ? Je ne connais pas non plus. Aaron. Et merde. Lui et sa soeur, un des deux va mourir. Inconsciemment, mon coeur se serre. Je suis loin d'être sentimental, mais je crains le pire. Zaphkiel Karmaker. Non, pas lui ! Mon cauchemar se réalise, et j'étouffe une contestation. Il est trop jeune, bien trop jeune pour mourir. Le dernier prénom en revanche me fait sourire, trop légèrement. Chucky. Ah ça, elle l'aura pas volée, sa participation aux Animals. Encore retourné de l'intérieur, je glisse mes mains dans mes cheveux, et tire dessus, nerveusement. Et elle, et June. Elle va certainement te voir crever, et t'auras jamais eu le temps de lui dire je t'aime. Tout est parfait ou presque, et en une seconde. Ton monde s'écroule.

Quelques mots, un monde qui s’écroule, un combat qui s’annonce...

Finalement, c’est l’heure de savoir qui va aller à l’abattoir. C’est l’heure de savoir... Est-ce que j’ai peur ? Je ne sais pas, je ne saurais pas dire ce que je ressens à cet instant... Tout est flou, confus. On va savoir qui participera aux Animals. C’est... Particulier. Les prisonniers sont rassemblés devant la télévision et moi je regarde d’un air distrait. L’émission n’a pas encore commencée, je préfère observer les alentour, parce que c’est plus intéressant. Les personnes ont peur, je le vois, je le sens. Je les comprends, après tout, nous sommes tous au même niveau, nous sommes tous des candidats potentiels... Moi autant que les autres. Certains méritent sans doute d’y aller, d’autres non. Ce n’est pas à moi de juger, tout comme je ne peux pas juger mon propre cas. Ma famille doit regarder aussi... Peut-être devrais-je alors prêter un peu attention à ce qu’il se passe ? Oui.

Le générique prend juste fin quand je reporte mon attention dessus. Plateau... Mouais. C’est pailleté, c’est... Tout pour attirer le regard. Classique des jeux de télé-réalité, couleurs vives et une personne avec 1 de QI pour présenter l’émission. Toujours la même chose. Je me demande même pourquoi j’y prête attention, je ne veux savoir que les noms des ’’sélectionnés’’ alors elle a tout intérêt à se grouiller. Impatient, moi ? Stressé plutôt... Même si je ne compte pas l’avouer. C’est le monde de la télévision, je n’ai pas grand chose à dire. Mon domaine a toujours été plus discret, je travaille dans l’informatique. C’est toujours très amusant car je suis alors capable de bousiller plein de choses, si je le veux. Ah, Eva en est tout aussi capable. J’ai été un très mauvais exemple pour ma jolie petite sœur... Un peu de concentration, que diable. Je déteste la tête de la présentatrice. Marre-toi, c’est ça... Qu’est-ce que c’est drôle d’envoyer des personnes à l’abattoir. Parce qu’il ne faut pas se leurrer, c’est ce qui nous attend. De plus, elle fait monter le suspens... Tss. Je hais ces personnes.

Enfin, les noms sont révélés. Je ne connais pas les deux premiers je dois avouer... Par contre, le troisième... H. Domino Monroe. Et merde... Je jette un coup d'œil au concerné... Domino... Merde quoi, pourquoi lui ? Je le connais, il ne mérite pas ça... Je détourne rapidement le regard, réfléchissant à toute vitesse. Je ne peux rien faire pour lui, je le crains... À moins de trouver le moyen de sortir de là, mais en aussi peu de temps, c’est mission suicide... Je ne connais pas les noms suivant, bien que quelque chose m’interpelle. Deux noms identiques : Meadow J. & V. Aaron Fichnet. Deux personnes de la même famille ? Je déglutis difficilement... Ça... C’est vache. Très vache. Comment je réagirais si je devais affronter mon frère ou ma sœur ? Question débile : je mourrais pour eux... C’est aussi simple que ça. Les pauvres... Un nouveau nom m’interpelle... Zaphkiel A. Karmaker. Je grince des dents. Je déteste qu’on m’appelle ainsi ! Combien de fois devrais-je faire comprendre qu’il faut m’appeler Zak ou le Phénix, hein ? Même si je ne suis plus ce dernier. Minute... Zaphkiel ? Je crois que je pâlis... Que ce soit ou non le cas, je passe une main dans mes cheveux, fixant le sol... Je vais... Crever ? Bon sang, Camael ne va jamais se pardonner le fait de m’avoir envoyé en taule... Et... Oh non... Ce qui veut dire que Domino et moi allons nous retrouver en adversaires ? Je pâlis une fois de plus... Je ne me sens pas très bien... Il me faut un plan. C’est idiot mais il me faut un plan. Au moins de quoi m’occuper l’esprit... J’en ai la preuve : un événement imprévu peut tout casser... Et je n’ai jamais aimé les imprévus.

J'ai pas tout comprit je crois, les mots sortent de la bouche de cette femme sans que je puisse les comprendre. Putain, j'y suis. Je suis le premier, sur tout ces enfoirés de prisonniers, c'est sur moi que ça tombe, évidemment ! Je sens ma gorge qui se serre, j'ai rien fait, je suis clean, mon attitude est exemplaire, pourquoi faut-il que ce soit moi ? J'imagine la réaction de ma mère, ses larmes, peut être, j'espère. On a pas beaucoup parlé depuis que je suis ici, ses visites se résument à quelques regards fuyants, des sanglots étouffés et un éternel sourire faux. Elle ne m'a pas encore pardonné pour l'autre. Elle l'aimait, j'aurai pas du m'en mêler qu'elle dit. Ouais, j'aurai pas du et il l'aurait tuée. Il l'aurait frappée encore et encore après un verre de trop, il l'aurait fait souffrir au moindre de ses problèmes. J'ai du mal à regretter ce que j'ai fait, et des fois ça me fait peur. Même s'il l'avait mérité, ne devrais-je pas ressentir au moins une petite once de culpabilité ? Ne devrais-je pas me réveiller la nuit trempé de sueur, encore hanté par son visage ? Suis-je un monstre ?

Je sens que les regards posés sur moi. Je n'écoute plus rien, ni la voix de la présentatrice, ni les murmures des autres. Le sang bat mes tempes, j'ai peur. J'ai pas envie de mourir putain, je veux pas ! Je ferme les yeux et inspire profondément.