Aujourd'hui, j'ai 14 ans. Si vous qui lirez ça pensez que je vis une journée merveilleuse, vous vous trompez lamentablement. Non seulement parce que personne ne sait que c'est mon anniversaire, mais en plus je n'ai de toute façon personne avec qui le fêter. Il n'y a que des fous ici. Mais moi je suis pas fou vous savez ? Il y a juste ce .. Cette voix dans ma tête qui réponds à chacune de mes pensées, mais elle n'est pas là quand j'écris. Alors j'écris beaucoup. Et quand je n'écris pas, je me mets à dessiner, j'essaye d'illustrer sur papier ce que je vois derrière mes yeux, dans ma tête. Je veux partir, j'en ai assez ... Je ne comprends pas pourquoi on m'a placé ici, je veux retourner auprès de ma famille. Ils me manquent terriblement et il ne viennent jamais me voir. Pourquoi dois-je endurer cela ? Je ne comprends rien, j'aimerais qu'on m'explique ce que je suis supposé faire ici. Tous les jours des hommes en blouse blanche viennent me voir, m'examinent. Ensuite, une femme reste avec moi pendant un long moment, et me pose des questions. Mais je n'écoute pas vraiment quand elle est là, je me contente surtout de lui parler de mon père et de ma mère. Je lui parle de John aussi, je lui dis que je l'aime, encore plus que mes parents. Je lui dis que lui m'aime aussi. Je lui dis qu'un jour on se mariera, mais elle me répond inlassablement qu'on ne pourra pas. Encore une fois, je ne comprends pas. Alors je passe à autre chose, je me dis qu'elle ne sait pas ce qu'elle raconte, qu'elle ne connaît pas John. Lui non plus n'est pas encore venu me voir d'ailleurs, mais je sais qu'il ne peut pas. Je lui montre les lettres qu'il m'a envoyé, où il dit qu'il m'attendra, qu'il m'aime et que je lui manque. Mais elle me dit que ces lettres ne sont pas de lui. Pourquoi dit-elle ça ? Alors je me contente de la regarder sans comprendre, sans rien dire, jusqu'à ce qu'elle parte. Je la crois folle elle aussi.



La fin de la semaine arrive et je me sens de plus en plus seul. Ça va faire la deuxième semaine que je suis ici et toujours aucune visites. Je ne comprends décidément rien. Mais parents ne m'aiment-ils plus ? John continue de m'écrire lui, alors qu'eux ne le font même pas. Ça me rend triste, profondément triste. J'aimerais tant les revoir. Je ne sais même pas exactement où je suis, je crois que c'est un hôpital psychiatrique, mais je n'en suis pas sûr. J'ai entendu des gardiens le dire. Ici, ce sont les seuls qui parlent, avec les médecins. Les autres ne disent jamais rien, ils ont juste le regard vide. J'ai peur que mon regard devienne vide lui aussi. Mais je ne suis pas comme eux, je le sais. Je sais penser, je sais ce qui est vrai. Alors pourquoi suis-je ici ?



Ils m'ont téléphoné ! Mes parents m'ont téléphoné ! J'ai pu entendre une nouvelle fois la douce voix de ma mère, ainsi que la voix cassée si réconfortante de mon cher père. Ils ont dit qu'ils passeraient bientôt, mais que pour l'instant ils étaient très occupés, à cause de leur travail. J'admire beaucoup mes parents, ce sont de bonnes personnes. Mon père s'est hissé au sommet de la société par la seule force de sa volonté et de son courage, tandis que ma mère possède un coeur en or et une générosité sans limites. Plus tard j'aimerais leur ressembler. Mais pour l'instant, j'aimerais juste être à leurs côtés. La dame en blouse est encore venue me voir aujourd'hui, toujours pour faire la même chose. Elle me demande comment je vais, me parle, me questionne etc .. Je lui dis que mes parents m'ont téléphoné, elle a l'air de paniquer un instant. Je ne comprends pas, pourquoi fait-elle ces yeux là ? Mais même s'ils auraient dû m'effrayer ces yeux, je reste calme. Ce sont les regards sans vie qui m'effraient, pas ceux qui en sont remplis. Alors je l'entends me dire que c'est impossible qu'ils m'aient téléphoné. J'ai l'impression qu'avec elle, rien n'est possible. Je sais quand même ce que je dis, je sais aussi ce que j'ai fait. Je sais que je leur ai parlé, je sais qu'ils m'ont dit qu'ils passeraient, je sais aussi que John m'a envoyé une lettre hier et que je lui ai écrit la réponse aujourd'hui. Alors pourquoi tente-elle ainsi de m'embrouiller l'esprit ? Je commence à avoir peur à force de l'entendre dire que tout est impossible, que rien n'est vrai. Alors je me rattache à ce que j'aime et à ce qui me rassure. Quant elle part enfin, je relis les lettres de John. Une chose me frappe alors, l'écriture est la même que la mienne. Cette fois, je commence à douter de moi.



J'ai peur. J'ai envie de pleurer et de crier. Je crois que la dame en blouse avait raison, ce n'est pas John qui a écrit ces lettres. Mes réponses n'ont jamais quittées ma chambre blanche. J'ai tout inventé. Je ne comprends plus rien, je suis complètement perdu. Je veux le voir, je veux voir mes parents, je veux sortir d'ici ! J'ai l'impression que je vais mourir dans cet endroit, que mon cerveau va s'arrêter et que je vais me retrouver comme les autres, avec le regard vide. Je ne veux pas finir comme ça, je veux sortir, je veux rejoindre ceux que j'aime. Qu'est-ce qu'il se passe bon sang ? Qu'est-ce que je fous là ? J'aimerais tellement avoir des réponses. Demain je dirais à la dame que je sais que j'ai tout inventé, peut-être qu'elle me dira ce qu'il se passe. Je suis terrifié ...



Ce matin j'ai croisé mon reflet dans le miroir. J'avais le regard vide pendant un instant. Ça m'a terrorisé.


Cette vision complètement vide de moi m'a anéanti pendant toute une semaine. Je crois que c'est aussi dû au fait que je commence à comprendre certaines choses. J'aurais aimé ne pas comprendre. Je souffre tellement. J'ai perdu énormément de poids depuis que je suis ici et les médecins ont décidé de me nourrir par transfusions, puisque je refuse de manger. Enfin, je ne refuse pas vraiment, mais je n'ai aucune envie de manger. Alors je ne mange pas. Mais au moins je commence à comprendre, je me souviens aussi. John est parti avec sa famille, qui voulaient fuir ce régime oppressant et malsain. Il m'avait demandé de partir avec lui, mais ses parents avaient dit qu'ils ne pouvaient pas m’emmener. Alors on s'était dit Adieu et mon coeur s'était brisé. J'espère au moins qu'il va bien et qu'ils ont réussi à fuir le pays sans problèmes. Ne pas savoir comment il va me détruit complètement. J'ai peur qu'il soit mort. Comme eux. Cette semaine m'a aussi éclairée sur mes parents. Je n'arrive pas à croire que je les reverrais plus jamais. Je n'arrive même pas à pleurer. Je ne me souviens pas de comment ils sont morts, c'est encore trop flou pour moi dans mon esprit. Peut-être que la dame en blouse blanche me le dira. Oui peut-être.



Au final, je commence à bien l'aimer cette femme. Je sais maintenant qu'elle est là pour m'aider. Et je l'en remercie, car seul, je serais certainement resté dans le faux tout le reste de ma vie. J'avoue que je suis encore bien souvent dans ce monde où tout est parfait, mais maintenant, j'arrive à m'en sortir, même si c'est douloureux. Je sais pourquoi mes parents sont morts, ou plutôt comment. On essayait de fuir nous aussi, fuir ce régime. Mais nous nous y sommes pris trop tard. On m'a raconté l'accident de voiture, je doute en fait que ce soit réellement un accident. Je suppose que je ne saurais jamais la vérité. Mais ce que je sais, c'est que je sortirais d'ici.


J'ai enfin pleuré. J'ai pleuré dans les bras de Gillian - La psychiatre, pendant des heures. Ça soulage vraiment, même si bien sûr je suis toujours triste. Jill m'a dit que j'allais de mieux en mieux, et qu'elle était là pour moi. Dans le fond elle me rappelle un peu ma mère je crois, elle me donne beaucoup de son temps. Et maintenant je sais que le temps est la chose la plus précieuse que l'on puisse posséder. Elle me dit que j'écris bien, que je devrais écrire un livre. Elle me dit que je dessine très bien aussi, que je dois à tout prix continuer, exercer mon talent encore et encore. Je suis d'accord avec elle, j'essaie de faire des projets. Ma vie commence à aller mieux. Je le sens.


Gillian a quitté le service. Ça m'attriste beaucoup, mais elle m'a dit qu'elle viendrait me voir, parce qu'elle m'aime bien. Ça me rassure. Elle me dit aussi que je devrais bientôt pouvoir sortir d'ici, que comme ça je pourrais publier un livre et devenir célèbre. Une part de moi la croit et rêve de célébrité, une autre sait très bien que ça n'arrivera jamais. Oui, je suis comme ça maintenant, avec deux personnalités, mais cachées. Quand je parle je suis toujours le même "moi", mais quand je pense, c'est différent.J'ai l'impression que deux réalité s'affrontent dans mon esprit, c'est assez étrange, mais je le supporte bien.


J'ai le droit de me promener partout dans l’hôpital désormais, je joue même aux échecs avec un mec de l'accueil de temps en temps. Mais ça l’énerve parce que je gagne tout le temps.Je pense souvent à mes parents et à John. J'ai du mal à tourner la page. Je ne crois pas que j'y arriverai un jour pour tout avouer. Mon livre quant à lui avance bien, quand je sortirais, j'essaierai de le soumettre à un éditeur. On verra ce que ça donne. J'ai remarqué en relisant mes écrits me concernant, qu'ils étaient tous de plus en plus en petit. C'est peut-être un signe; le signe que je vais mieux. J'écris moins car j'ai moins de temps pour le faire, car je n'ai plus grand chose à dire sur moi. Je continue d'avancer, malgré les difficultés qui m'ont fait tomber plus bas que terre. C'est difficile, mais je m'en tire plutôt bien. Je crois que je vais arrêter d'écrire ce journal d'ailleurs, je ne pense plus en avoir besoin. Je n'ai plus besoin de me confier. Bientôt je sortirais d'ici et je commencerai une nouvelle vie. Ma nouvelle vie.