" Mama put my guns in the ground
I can't shoot them anymore
That cold black cloud is comin' down
Feels like I'm knockin' on heaven's door

Knock-knock-knockin' on heaven's door "

-----------------------------

Assit au comptoir d'un des bars les plus fréquentés de Détroit en ce samedi soir, une silhouette d'homme relativement musclée et à la chevelure mi-longue venait d'attirer les regards d'une bande de jeune femmes venues passer du bon temps en ces temps sombres. Gloussant entre-elles et s’extasiant sur ce dos qui laissait promettre de grandes choses, elles décidèrent finalement d'aborder ce jeune homme mystérieux en tirant au plus rapide cul-sec de Tequila, celle qui aurait l'honneur de l'inviter à leur table. Car pour elles, quel homme sensé refuserait de passer sa soirée en compagnie de six charmantes jeunes femmes, préférant rester seul ? Ce fût Kate, une belle brune aux yeux translucides qui obtint ce privilège, la Tequila lui brûlant la gorge atrocement. Ce qu'elle pouvait détester les culs-secs ! Les cocktails, c'était quand même bien mieux, beaucoup mieux pour une femme du moins ! Reprenant son souffle quelques instants, elle hésita un moment avant de se lancer, son esprit étant assez embrouillé à cause de l'alcool consommé jusque ici. Poussée par ses camarades, elle n'eût cependant pas beaucoup de temps pour se souvenir de combien faisaient 2+2 et, après s'être rapidement recoiffée grâce à son téléphone portable, elle s’élança en direction du blond, sûre d'elle.

Serrant sa bière brune de ses deux mains, Wade, flic et habitué du coin, discutait de faits divers avec le barman des lieux. Le jeune homme était content, contrairement à son ami qui n'aimait pas voir le bar aussi vide un samedi soir. Cette absence exceptionnelle de monde plaisait beaucoup au jeune homme, car il y avait beaucoup moins de risques qu'on vienne l'emmerder..Hum pour telles ou telles raisons. Et Dieu seul savait comme il aimait être au calme, avec juste une bière, des cacahuètes et son ami barman. Seul un couple se tripotait dans le fond du bar tandis que quelques de jeunes étaient occupés à enchaîner les culs-sec de Vodka. Il y'avait aussi deux-trois hommes discrets qui discutaient et une bande de filles qui, en revanche, étaient assez bruyantes. Ah ces nanas ...

« Euh excusez-moi ? »

Se figeant soudainement, Wade échangea un regard furtif avec le barman qui montrait clairement sa surprise. Il n'en revenait pas. Même avec quinze personnes dans le bar, on arrivait à le déranger ? Si encore il pouvait espérer se tromper sur le résultat final de cet échange ... Non, il ne se faisait pas trop d'illusions. Posant sa bière avec une lenteur calculée sur le comptoir, le jeune homme mit un temps considérable avant de se décider à réagir à l'appel de la jeune fille. Il voulait qu'on lui foute la paix. Et puis de toute façon quoi, elle allait encore s'enfuir en courant en voyant son visage. On allait encore le traiter de monstre. Faisant craquer les os de son cou dans un bruit sonore, Wade planta finalement son regard noir dans celui presque transparent de la demoiselle, sans dire le moindre mot. Surprise, Kate ne remarqua pas immédiatement la bouche de l'homme, mais lorsque son regard tomba dessus, elle ne put retenir un gémissement de dégoût ainsi qu'un air complètement paniqué. Et allez, bingo !

« Euh. J... J'ai.. Je vais vous laisser, pardon ! »

Les cicatrices tailladant les joues de Wade pour le restant de ses jours, voilà ce qui avait effrayé Kate. Comme beaucoup d'autres, elle était terrifiée par ce qu'elle voyait, les marques formant un sourire de dérangé chez l'homme. Imaginant un instant l'horreur et la douleur que les coupures avaient dû provoquer, la jeune femme sentit accroître en elle un sentiment d'horreur pure et ne parvînt pas à tourner les talons pour rejoindre ses amies, comme elle venait de le dire. Se levant de son tabouret haut, Wade planta son regard cerné dans celui de la demoiselle, bien décidé à ne pas la lâcher de si tôt. Après tout, elle l'avait voulu. Donnant cette impression perpétuelle de rire, il s'approcha de la brune, soufflant un léger :

« Oui ? C'est pourquoi ? »

Paniquant un peu plus, Kate s'empressa de lui répondre, tentant de mettre un peu plus de distance entre eux.

« R..Rien du tout ! Je vais ... Laissez-moi ! »
« Mais vous vouliez me demander quelque chose n'est-ce pas ? Oh je sais .... C'est les cicatrices qui vous gênent, c'est ça ? Hum ? Bien sûr ! Quoi d'autre ?! »

Le barman leva les yeux au ciel, habitué à voir le jeune flic jouer à ce petit jeu. Dans un sens il le comprenait, ça ne devait pas être facile de vivre avec un visage défiguré de la sorte. Mais quand même, c'est qu'il allait faire fuir le peu de clients qui étaient là aujourd'hui ! Wade quant à lui, ne prêtait pas la moindre attention aux clients qui le regardaient désormais bizarrement et, transperçant la brune de son plus beau regard de déjanté, souffla avec un amusement qui sonnait faux :

« Je peux te faire les mêmes si tu veux. C'est gratuit. Tu verras ce que ça fait comme ça, d'être défiguré. »

Ponctuant le dernier mot d'un geste évasif de la main englobant son visage, Wade savourait avec un plaisir presque sadique, la peur dans le regard de la jeune femme. Il ne savait pas pourquoi effrayer les gens lui plaisait autant, alors que paradoxalement, il détestait être traité différemment. Il ne voulait pas être traité de monstre mais agissait pourtant comme tel. Seulement voilà, il ne pouvait s'en empêcher. C'était comme une vengeance contre cette injustice qui l'avait défiguré.

« Tu verras ce que ça fait d'être perpétuellement vu comme une bête de foire tout ça parce qu'un putain de malade mental à un jour décidé de tester son nouveau couteau sur ton visage alors que tu ne faisais que gentiment rentrer chez toi un soir, après avoir innocemment passé l'après-midi chez un ami comme les 3/4 des autres gamins du coin. Tu verras à quel point c'est douloureux, physiquement comme mentalement. Tu verras aussi comme c'est difficile d'entendre tes parents te dire qu'ils ne pourront pas payer les soins médicaux, parce que ton cher frère fait des études coûtant plus de la moitié des revenus familiaux et que donc, tu devras continuer de souffrir le temps de la cicatrisation, cicatrices que tu devras d'ailleurs garder toute ta vie ! Cicatrices qui te feront passer pour un monstre aux yeux de tous. »

S'approchant de plus en plus près de la pauvre fille, une lueur qui pouvait s'apparenter à de la folie illuminait dès lors les prunelles noires de l'homme. Kate pouvait presque sentir son souffle chaud contre sa peau mate et elle se sentait flancher devant tant d'émotions fortes. Ce fût une voix puissante qui coupa le jeune flic dans son élan, juste à temps.

« WADE ! Arrête ça tout de suite, tu vas faire fuir mes clients ! »

Oh. Le patron. Wade mit aussitôt de côté l'idée qu'il était surement arrivé à temps pour l'empêcher de devenir complètement dingue. Non ... Il ne faisait que s'amuser après tout, il n'aurait pas fait de mal à cette jeune fille. Du moins essayait-il de s'en persuader.

« J'arrête j'arrête, mais c'était juste pour rigoler tu sais. Regarde comme on s'amuse ! »

Affichant un grand sourire, il marmonna un « Dit oui de la tête » à la jeune femme, ce que la brune s'empressa de faire. Pas convaincu, le boss lança un de ses regards les plus noirs au jeune homme, qui fut contraint de laisser tomber sa petite pièce de théâtre improvisée. De toute façon, il était tard et il n'avait plus rien à faire ici. Retournant s'asseoir, il termina sa bière calmement, comme si rien ne s'était passé. Il se foutait pas mal de passer pour un malade mental auprès d'une quinzaine de personne tant que ceux-ci avaient compris qu'il ne fallait pas le faire chier sur ses cicatrices. Ses putains de cicatrices ... Il détestait y penser. Et pourtant il y était continuellement obligé : Dans la rue, au boulot, pour chercher le pain ... Chaque fois qu'il croisait le regard d'un étranger, la même expression s'affichait sur son visage. Étonnement, dégoût, peur, fascination malsaine, curiosité ... Tant de choses que Wade ne supportait plus. Alors il se vengeait comme il le pouvait, de temps à autre, pour se soulager l'esprit. C'était petit et mesquin, mais ça faisait du bien. Il ne choisissait personne en particulier, juste ceux qui s'approchaient un d'un peu trop près et au mauvais moment. Il n'avait rien contre eux, du moins rien de spécial. C'était juste comme ça depuis l'accident, il en voulait au monde entier, alors il se vengeait, au hasard. L'impartialité du hasard lui plaisait assez.

Reposant la bouteille vide, le jeune homme extirpa alors un billet de 10 dollars de son vieux porte-feuille usé jusqu'à la moelle et le posa négligemment sur le comptoir. Voilà qui devrait compenser son petit numéro de clown. Ramassant sa planche de skate qui traînait à ses pieds, Wade se recoiffa rapidement de son bonnet gris et se dirigea vers la sortie. Alors qu'il allait passer le pas de la porte, il ne put s'empêcher de faire un dernier petit clin-d'oeil en direction de la brune qu'il venait de traumatiser à vie, puis disparu dans la nuit.

Dévalant à toute vitesse les nombreuses rues qui le séparaient de chez lui, Wade profitait de cette tranquillité et de ce calme ambiant, savourant avec un plaisir tout particulier le vent qui lui caressait le visage. Ce genre de balade la calmait toujours, surtout après des soirées comme celles-ci, où ses nerfs lâchaient et où un brin de folie s'échappait de son esprit. Wade avait souvent l'impression que sa vie n'était menée que par une seule et unique chose : Les marques sur son visage. Il pensait même parfois que, peut-être, ces marques n'étaient pas si horrible que ça, que peut-être, il aurait pu apprendre à vivre avec et apprendre à être compatissant envers ceux qui découvraient son visage. Mais même s'il le voulait, sa nature l'empêchait pourtant d'appliquer ses idées. Était-il, dans le fond, une mauvaise personne ? Peut-être que oui.

Ses foutues cicatrices ... Elles éveillaient depuis toujours une source d'horreur ou de fascination dérangeante chez les gens. Mais pire encore, elles créaient également un puits inépuisable de moqueries dont la plupart des camarades de Wade avaient voulu en tester les limites. Bien évidement, ils semblèrent ne jamais l'épuiser et ce fût durant toute sa scolarité que le jeune homme dut subir les méchancetés gratuites des autres élèves. Repenser à ces années de collège/lycée lui laissaient toujours un goût amer dans sa bouche déformée, Wade ne se souvenant pas d'avoir passé ne serait-ce qu'un seul bon moment durant cette période de sa vie. Mais désormais, il avait changé la donne. Il n'était plus le faible jeune homme traumatisé par les coins trop sombres et l'obscurité. Il avait changé. Il était devenu fort et sûr de lui. Il ne frémissait plus au moindre bruit lorsqu'il était seul, il n'avait plus peur de se faire agresser le soir dans la rue. Désormais, il avait un but dans la vie et il se donnait tous les moyens nécessaires pour l'atteindre. Il voulait faire régner la justice, mais de la manière la plus impartiale possible. Un jour viendrait où ce serait la cas, il en était persuadé. Un jour viendrait où il serait vengé.

Arrivé devant un grand immeuble flambant neuf d'où on pouvait apercevoir de grands balcons parfois un peu trop fleuris, Wade stoppa sa course subitement et cala sa planche sous son bras gauche avant de sortir un petit trousseau de clés de sa poche de veste. Après dix minutes de lutte intense avec sa poignée de porte récalcitrante, le jeune homme était enfin chez lui.

« Batsy ! Je suis rentré ! »

Lâchant sa planche dans l'entrée au milieu de tas d'objets mal rangés, Wade entama de longer le couloir qui menait au salon/salle à manger avant d'être stoppé par une petite boule de poil couleur noir et feu. Batsy, son petit Shiba Inu semblait être heureux de retrouver son maître, Wade considérant plutôt l'animal comme un ami plus qu'autre chose. Le jeune homme aimait beaucoup les animaux, car ceux-ci ne le jugeaient jamais sur son physique et le prenaient comme tel, sans se soucier de son apparence de monstre. Le petit chien devant, Wade pénétra donc dans la pièce à vivre, son regard étant aussitôt attiré par une petite lumière rouge significative de l'appel manqué. Sans avoir besoin de regarder le numéro, Wade devina qu'il s'agissait d'un coup de fil de sa mère, cette-dernière étant la seule à l'appeler sur son fixe. Pressant le petit bouton "play", il alla s'asseoir sur son canapé en cuir et écouta avec une attention toute particulière, la voix de sa mère qu'il n'avait pas vu depuis maintenant un an. Pour tout avouer, s'il avait vu sa mère l'année dernière, c'était parce que son père venait de décéder d'une crise cardiaque et qu'il se devait d'être là lors de l'enterrement. Sans quoi, ils ne se seraient pas vus depuis 7 ans.

« Bonsoir Wade, c'est maman. Je t'appelle aujourd'hui pour avoir de tes nouvelles, cela fait longtemps que tu ne m'as pas téléphoné. J'espère que tu vas bien. J'aimerais bien te revoir tu sais ... Demain ça fera un an que ton père est mort et, j'ai pensé que peut-être, on pourrait aller lui rendre visite au cimetière, qu'en penses-tu ? Ton frère sera-là et ça me ferait plaisir que tu viennes toi aussi. »

Après une courte pause, la voix reprit.

« Je sais que tu nous en veux pour tout ce que tu as dû endurer après l’accident. Je sais aussi que j'aurais dû être plus présente pour toi plutôt que de faire comme si tout allait bien. Je n'aurais pas dû fuir du regard ton visage chaque fois que je te voyais, je sais que tu en as énormément souffert et je m'en veux. Mais c'était tellement dur de te voir souffrir ainsi sans rien pouvoir faire ... Au final je n'ai fait qu'accentuer cette souffrance. J'aimerais que tu nous pardonnes à ton père et à moi, même si je sais que ce n'est pas dans ta nature. Encore une fois je te demande pardon, je t'aime Wade. Rappelle-moi. »

Le visage du jeune homme s'était décomposé au fur-et-à-mesure que le message de sa mère s'était déroulé. Entendre ça ne le ravissait guère et ce fût avec une boule dans la gorge qu'il se leva pour effacer le message. Comment se permettait-elle de lui demander pardon, de lui dire qu'elle l'aimait alors qu'elle ne l'avait jamais montré lors des moments où il en avait le plus eu besoin ? Comment osait-elle lui demander ce genre de choses alors qu'il éprouvait envers elle un sentiment terrible de haine et d'amour combiné ? Il ne voulait plus avoir de contacts avec elle, pas plus qu'avec son frère. Mais il souffrait de la perte de son père, qui avait toujours été à ses yeux un homme parfait et un modèle pour lui, bien qu'il lui en ait horriblement voulu de ne pas avoir pu payer les soins médicaux nécessaires, tout ça parce que son frère était promis à un bel avenir. Mais cette colère avait disparue lors de sa mort pour être remplacée par un sentiment étrange et douloureux : La tristesse. Et si c'était pareil pour sa mère ? Peut-être devrait-il cesser d'être en colère contre le monde entier, peut-être devait-il mettre de coté cette haine inéluctable qu'il éprouvait au final, contre chacune des personnes peuplant cette terre. Peut-être allait-il regretter ... Sentant le mal de tête poindre dangereusement, Wade décida de prendre un cachet et d'aller se coucher, se disant que la nuit portait conseils.

Une fois dans son lit, un long débat débuta dans l'esprit du jeune homme, qui se voyait déchiré entre deux possibilités qui lui étaient toutes deux douloureuses. La nuit promettait d'être longue. Très longue. Mais les réponses viendraient avec l'aube, il en était certain.