Delirium, c’est un livre.
Alyss, c’est au pays des merveilles déconfit.
Oniria, c’est la fantaisie de l’enfance réduite au sadisme incandescent de l’homme.
Moore, c’est vouloir plus, penser plus, être plus.

Delirium, c’est une critique, une remarque.
Alyss, c’est une fantaisie.
Oniria, c’est la déchéance.
Moore, c’est comprendre plus que ce que le monde laisse derrière lui.

Delirium, c’est avoir droit au moyen d’avoir un moyen d’expression.
Alyss, c’est que le monde ne tourne pas rond.
Oniria, c’est l’idée cauchemardesque d’exister.
Moore, c’est ne plus avoir envie d’en écouter davantage.

C’était ça, à la base, ‘’Delirium’’. Un livre, le sien. Elle avait passé quatre ans à le rédiger. Quatre longues années à errer dans les bras miteux d’éditeurs empreints de substances nécessaires à l’aliénation de l’espèce. Tout ça n’avait rien de logique. Tout avait commencé sur les bancs universitaires pour s’étendre jusqu’aux petites aurores loin des airs dévastées de l’organisation de Detroit. Elle avait compris que rien n’allait , que tout se dépeignait. Elle était prisonnière d’elle-même, de son corps, de sa piaule, de son quartier, de sa ville… Et le virus avait contaminé tous ceux qui connaissaient le prix de la liberté.

Elle avait écrit des jours entier jusqu’à tapisser les murs de sa chambre comme une toile pourrie qui se déshabillerait de la peinture trop lourde. Toujours des nouvelles feuilles, des nouvelles remarques, de nouvelles idées : c’était un Parthénon de ce que la vie à Détroit était… Dodo. Boulot. Télé. C’était ça, Détroit : une dictature qui engourdissait tout le monde dans une fausse prétention de vivre. Oui, gavez-les d’images de blondasse décolorée et de Monsieur Muscle, ils en baveront devant leur écran. Ils ne bandent que pour ça, que par ça. Alyss avait quitté le pays des merveilles pour atterrir en pleine réalité. La chute avait été difficile… Et le lapin qui cherchait le temps? Il était où, celui-là? il fallait qu’il lui dise qu’elle était en retard! Qu’elle devait prendre le thé! La Reine Rouge l’attendait dans son bordel pour les exécutions… Mais ce n’était pas ça que se produisait : elle écrivait ce que c’était la vie à Detroit. Delirium. Un total et pur Delirium dont nul ne pouvait échapper! Ceux qui n’osaient pas s’y soumettre allaient finir derrière les barreaux… Mais avant de terminer sa montée dans les tréfonds du silence, il fallait se démarquer.

Delirium parut le 11 novembre 2068.
Les exemplaires avaient été distribués par centaine dans les rues de Detroit. C’était ça, l’attrape : distribuer ce qui ne tournait pas rond, ici-bas. C’était un enfer qui ne pouvait pas être toléré… Et malgré les quelques pilules qu’elle avait ingéré, elle s’était retrouvée sur un plateau télé où toute la ville avait pu admirer son œuvre. Moment de gloire extasiant. Les gens avaient les yeux rivés sur cette fille aux cheveux en broussaille, au maquillage de plusieurs jours et à sa beauté déchue qui parlait… intelligemment. Qui parlait comme un dictateur l’aurait fait devant son lectorat. C’était qui, elle? La nouvelle qui réveillait les idéaux d’une démocratie? Qui racontait que cette ville méritait d’avoir de grands changements que l’existence ne pouvait pas se concevoir en étant dans un environnement individualiste…

Quinze minutes. Quinze petites minutes à la télé à présenter son livre une semaine après sa sortie… Et on la confina aux enfers. Les forces de l’ordre étaient intervenues sur le plateau… Et elle, elle était restée là à les regarder. C’était inévitable : si elle publiait, elle allait être foutue… Et puis, c’était quoi être foutue dans cette putain de ville? En taule ou dans une piaule, il n’y avait que deux lettres de différence : le résultat était le même! Elle avait regardé la caméra avant de sourire et d’applaudir calmement sa propre finalité. Ils voulaient l’enterrer au silence? Tant pis pour eux. Ils l’avaient embarquée sous le feu des projecteurs et elle avait souri… Son œuvre ne faisait que commencer puisque malgré son altercation policière… Ses écrits allaient restés graver dans la mémoire de ceux qui avaient fait l’effort d’en lire quelques lignes. C’était choquant, c’était déstabilisant… Et alors qu’on l’expulsait de la pièce, les menottes aux poignets, elle entendait la révolte de quelques-uns : les artistes n’étaient pas des criminels… C’était époque révolue, maintenant.

Delirium fût présentée comme tel au manoir.Adieu Alyss. C’était une récalcitrante qui avait troublé l’ordre publique. Ordre publique… Ou disons plutôt blesser l’égo d’une société en pleine perte d’autonomie! Elle s’était néanmoins tu. Elle avait fait des vagues, elle ne voulait pas recommencer… Surtout que ses livres avaient été mis à l’Index… Génial! Tuer les moyens d’expression pour mieux contrôler… l’Église avait fait ça, ce n’était en rien une invention typiquement américaine! Elle avait souri, tout simplement. Elle le faisait si souvent derrière ses allures un peu en marge, jamais là, mais qui écoutait jusqu’au moindre souffle.

Assise dans sa cellule, on lui avait laissé son dernier exemplaire pour contempler ses quatre ans disparaître en fumée. Un carmin sourire aux lèvres, elle avait fini par le scotcher sous son lit. Assise sur un matelas, on lui avait laissé du papier et un market… Et alors, sans comprendre pourquoi, elle s’était remise à écrire…

Delirium, c’est celle de la cellule d’en-face. C’est la fille qui n’a jamais l’air là. C’est une ancienne écrivaine qui écrit encore pour ne pas perdre la tête…
C’est une fille qui n’a pas contact avec ce qui peut être dit et ce qui doit être tu.
C’est la voix d’un peuple en manque de liberté.
C’est une one hit wonder dont on se souvient et dont on fait tout pour qu’elle se fasse oublier.