« Mais ce n'est encore qu'un enfant, Fred ! » Fetch leva ses mains et les posa sur ses oreilles. Il n'avait plus envie d'entendre les cris de sa mère. Ses cris, ses sanglots, ses supplications. Il commença à chantonner à voix basse, couché sur son lit trop petit pour lui. Il avait hérité de celui de Clara, quand elle était partie à l'hôpital, et il avait refusé de changer pour prendre celui de Jackson, quand ses pieds avaient commencé à dépasser du lit. Jamais il ne toucherait aux affaires de son frère. Jamais.

Il savait que ce genre de réaction de sa mère était à prévoir. Il avait pensé à toutes les méthodes pour lui apprendre qu'il allait devenir une recrue dans la police, un cadet comme ils disaient, mais il n'avait rien trouvé de satisfaisant. Il avait mené sa formation dans le plus grand des secrets, pour ne pas l'inquiéter, et il lui avait finalement donné sa lettre d'acceptation en silence. Elle était restée silencieuse jusqu'à son père vienne du travail, moment où elle avait explosé en larmes et sanglots. Sur ses joues pâles, les marbrures de son maquillage traçaient de lourds sillons qui la faisaient paraître plus vieille. Elle avait peur. Tellement peur. Comme tout le monde, non ? Lui avait toujours connu Détroit ainsi. Elle aussi. Fille issue de l'immigration de ses grands-parents, jadis, elle lui avait légué son léger accent chantant, des prénoms aux consonances exotiques et ses yeux si expressifs dans lesquels la peur pouvait se lire aisément. Elle avait peur de perdre son dernier fils comme elle avait perdu le premier, peut-être même de la main de celui-ci. Jackson était en prison depuis cinq ans, depuis que ses copains et lui avaient... fait ça à Clara, sa propre soeur, mais tous craignaient encore qu'il sorte de prison. Finisse ce qu'il avait entrepris. Se fasse les crocs sur la chair tendre et pâle de son benjamin, épuisé déjà par le travail et la vie adulte.

Fetch retira brièvement ses mains de ses oreilles. Sa mère ne parlait plus. Il l'entendait pleurer. « Il a vingt ans, chérie, c'est à lui de décider. Policier est un bon métier, qui demande de bonnes valeurs. J'avais son âge quand je suis devenu policier. Tu te souviens ? Nous étions même déjà mariés. Il saura se débrouiller. Et si Jack - Jack ne sortira pas de prison. » Cette fois, la voix de son père avait été intraitable.

Parler de Jack était interdit, comme parler de politique. Ils n'étaient pas riches, mais pas pauvres, et son père ne voulait jamais qu'on parlait de ce qui se passait à Détroit. Il ne voulait pas ramener de travail à la maison, comme il disait. Parler de Clara était également interdit. Parler de Clara, c'était parler de Jack. Repenser au corps de sa soeur, à son regard vide. Elle était encore dans le coma, à l'hôpital, inapte. Il travaillait pour elle, pour l'aider à payer sa dette à la société, et c'était la même chose pour ses parents. Ils travaillaient pour maintenir leur fille dans le coma. Vivante. Et Fetch avait pris la décision d'être un de ceux qui pouvaient faire quelque chose contre les ordures qui violaient, tuaient, torturaient, d'autres personnes. Leur propre soeur. Contre les voleurs, les malhonnêtes, les bien-pensants. Il était encore innocent, lui, malgré tout, encore tout de gris clair fait.

« J'ai si peur, Fred. Franz est... oh, tu imagines, si Animals... » Il posa à nouveau ses mains sur ses oreilles. Franz. Personne ne l'appelait jamais pas son prénom, mort en même temps que sa soeur était tombée dans le coma. Il préférait Fetch. Ça lui faisait oublier que celle qui lui avait donné ce comique surnom était absente. Pour longtemps.

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Petit frère,

Alors, comme ça, on se met aussi à lécher le cul du gouvernement ? Je ne pensais pas que Papa aurait réussi à te faire gober toutes les idioties de son métier. T'es vraiment qu'un con, mais c'est pas trop surprenant, hein. Comment ils t'appellent, là-bas ? Fetch, Lincoln, Franz, ou petite pute ? Je suis sûr que bientôt, tu vas te faire passer dessus par tous les cochons du coin, ils n'attendent que ça. De toute façon, ils se font tellement mettre par le dictateur... ils doivent avoir le trou aussi gros que mon bras. Toi aussi, bientôt. Tu verras, tu vas aimer, on s'habitue presque.

Ici, tout va bien. Comme d'hab' dans une prison. On parle pas mal d'Animals. Ce serait bien, si j'étais libéré, non ? On serait à nouveau ensemble, petit frère. On pourrait aller voir Clara, et je te raconterais encore comment c'était bon, avec elle. Tu essaierais, quand t'en auras assez des politiciens et des chiens.

Perds pas le nord, frérot. Attends-moi, j'arrive.

Jackson