Les gens parlent beaucoup, disent des choses à propos de ce qui ne leur regarde pas. Ils ont tendance à oublier que, comme la mort, la vie n’épargne personne. Aussi, ils oublient qu’elle est bien plus cruelle que sa consœur. Regardez ! La vie, elle, nous consume à petits feux. Elle nous laisse languir, dans l’espoir d’un éventuel retour à la normale. Elle nous impose la souffrance, l’amour, la haine et tout ce qui fait que nous sommes heureux d’être encore parmi les nôtres mais… lorsqu'il ne nous reste plus personne, à quoi bon ? Lorsque mon frère s'est fait coffrer, j'ai eu du mal à admettre qu'il ne me restait rien. Plus rien du tout. Des amis ? J'en ai oui mais, rien ne peut remplacer la famille, n'est-ce pas ? Rien ne peut combler le manque qu'elle laisse derrière et, même si nos pères n'ont jamais donné signe de vie, ce n'est pas à la mort de maman que j'allais reprendre contact avec le mien. Faudrait déjà que je sache de qui il s'agit et, à ce propos, je ne sais même pas si maman le savait elle-même...

Les hommes ne servent à rien. Ils nous font rêver, nous pourrissent la vie, nous séduisent à leur guise et, lorsqu’ils décident que nous n’avons plus rien à leur offrir… ils nous lâchent comme de vieilles chaussettes. C’est bien beau le romantisme mais, je n’y crois pas une seconde. Dans la vie, il n’y a que le cul qui fonctionne comme sur des roulettes ! Faudrait que les femmes de ce monde ouvrent les yeux parce que, lorsque les sentiments s’en mêlent, nous sommes fichues. Regardez maman… qu’est-ce qu’elle a gagné dans son histoire ? Des enfants à charge, des cheveux blancs, des soucis de stress permanant et… au final, une mort atroce. Morte de la main de son propre sang. Elle n’est pas belle la vie ? Je ne dis pas que si papa serait resté les choses auraient été autrement mais, peut-être que le destin nous aurait permis de profiter d’elle un peu plus longtemps. Mon frère et moi passions le plus clair de notre temps avec Aaron, notre demi-frère ainé. C’est à peine si je peux compter mes souvenirs d’enfance avec maman sur les doigts d’une main. C’est con, vraiment très con.

Je ne dis pourtant pas que mon enfance a été moche. Au contraire. On ne m’a jamais rien refusé, même avec notre petit budget. Quand je voulais quelque chose, je l’avais. Peut-être des jours ou des mois plus tard -voir des années- mais, je l’avais. J’ai toujours su me faire mignonne lorsqu’il le fallait et, ma petite bouille d’ange y était pour beaucoup. En grandissant, cela n’a pas changé. Combien de fois n’ai-je pas profité de mon physique pour me faire payer des verres dans les bars… ? Je n’avais rien à faire de ces types ou, du moins, pour la plupart. Je voulais simplement me servir dans leurs porte-monnaie pour éviter de sortir en sous en soirée. Bah quoi ? Faut être maligne, nom d'un chien !

Enfin bon, tout ça pour dire qu’aujourd’hui, les choses ont bien changé. La petite famille unie que nous étions a éclaté en mille morceaux et, après la mort de maman et de mon frère jumeau, tout est allé très vite. Aaron s’est fait coffrer… moi aussi. Pourquoi ? Parce que j’ai voulu faire justice moi-même. Faut dire que les autorités ne sont pas vraiment ce qu’elles étaient. Sous prétexte de porter l’uniforme, ils se croient tout permis mais, mon corps n’est pas un donut que l’on peut doigter à sa guise. Lorsque j’ai remis la main sur l’abruti qui m’avait agressé et violé -alors que je n’étais même pas majeure- je lui ai tout bonnement fait payer ce qu’il m’avait fait. Après une demi-douzaine de vodkas pures dans un bar du coin, il a voulu m’embarquer chez lui. J’ai joué le jeu, je n’ai rien dit. Il ne m’avait pas reconnue jusque là mais, une fois toute nue, il a tout de suite remarqué mon tatouage au bas-ventre. Une banane à demi-épluchée. Je me l’étais fait pour mes 15 ans, je l’avais donc déjà à l’époque… Ses yeux écarquillés m’ont d’abord fait rire, un rire diabolique. A califourchon sur lui, je ne lui ai laissé aucune chance. Trop con, le type avait posé son arme sur la table basse du salon. Je n’ai eu qu’à me retourner, la prendre et lui déposer une balle dans le crane.