Une maisonnette à Détroit, deux parents, une gamine. Les deux adultes s'aiment. Non pardon, s'aimaient, avant. Arizona qu'on l'appelle, la gamine. Elle a un an, depuis peu. Un an qu'elle vit à Détroit. Non pardon, qu'elle subit Détroit. Pourtant, quoi qu'elle en pense, elle ne manque de rien. Elle a la chaleur d'une mère, la nourriture, et l'amour. Elle a tout ce dont elle a besoin pour l'instant. C'est un conte de fées, cette vie. Non pardon, c'était. C'était, car aujourd'hui, Monsieur Alcatraz franchit pour la dernière fois le pas de la porte. Quelques minutes plus tôt, les insultes et répliques acérées fusaient à travers le salon. Un coup aussi, une gifle de la femme à son mari. Une autre dispute. Une dernière dispute, sous les yeux bruns de la gamine. Le paternel s'en va, emportant ce qu'il possède au passage. Il emporte beaucoup de choses, et surtout, le bonheur de Mademoiselle Bekerley.

Arizona grandit, au fur et à mesure que les mois défilent. Puis de mois, nous passons à saisons. Et de saisons, à années. De longues années pendant lesquelles la mère se laisse aller. Elle soigne son chagrin dans la bouteille, se console d'un rail de coke quand elle peut se le payer. Une toxico, sans aucun doute. Elle est bien vite devenue dépendante, la pauvre. Faut croire que ce divorce l'a profondément achevée. Encore une qui n'a pas réussi à se relever, quand son prince est reparti comme il était venu, pour se trouver une autre pouffiasse. Les yeux bouffés par la haine, les traits tirés par la fatigue, considérablement affaiblie, ce n'est plus qu'une loque, qui sert de figure d'autorité pour la gamine. Des fois, elle se pose des questions, elle tente d'aider sa mère. Des fois, elle se contente d'obéir, pour mieux l'ignorer ensuite. Des fois, elle en va jusqu'à la traîner à son lit car elle a un verre de trop dans le nez.

La petite continue de devenir grande, bien que certaines questions restent noires dans son esprit. La fumée de cigarette devient son oxygène, les effluves d'alcool son Chanel n°5, l'herbe une épice. Elle grandit seule, dans cette trop grande maison. Seule avec un fantôme qui lui sert de mère. Présente ce jour, absente le suivant. Rien pour cadrer une gamine, rien pour lui expliquer ce que c'est la vie. Car après tout, la seule chose qu'elle peut comprendre, en jaugeant sa mère du regard, c'est que la vie c'est triste. C'est pas drôle, et ça vous ronge jusqu'à la moelle. Ça vous bousille encore un peu avant de vous tuer, de vous achever d'un coup de grâce. Arizona a au début, du mal à comprendre pourquoi sa mère ne fait pas comme les autres, pourquoi elle ne vient pas la chercher à l'école. Ah si, c'est vrai, elle travaille. Mais dans quoi travaille-t-elle ? Elle n'est pas caissière. Elle n'est pas ménagère. Pas plus qu'elle n'est policière. Non, la petite ne peut pas faire un exposé, présenter fièrement ce que fait sa mère pour payer sa cam. Elle ne peut pas dire qu'elle est strip-teaseuse pour le plaisir de ses messieurs. Ça éveillerait les moqueries de certains, la pitié des autres.

Arizona ne veut pas de tout cela, elle est clairement indépendante. Puis les années défilent, encore. Arizona comprend que c'est même plus que strip-teaseuse. Elle comprend aussi que sa mère est tombée plus bas que terre. Alors elle se promet, se jure de tout son être. Qu'elle se damne elle-même, si jamais elle ne respecte pas sa parole : jamais, jamais de la vie, elle ne tomberait aussi bas que ça.

Arizona a seize ans maintenant. Ah oui, c'est vrai, ce n'est plus Arizona, c'est Sam. Parce que Sam c'est plus court. Sam, c'est plus rebelle, plus rock'n'roll. Sam c'est moins fillette. Et Sam, c'est exactement elle. Cheveux courts, clope au bec, yeux charbonneux, c'est de la graine de rebelle. Bagarreuse au possible, insolente, la tête brûlée du coin. Ce n'est ni une Beverly aux hauts talons, ni une première de la classe. C'est plutôt celle qu'on craint, qu'on évite. Tirant une dernière fois sur la barrette de nicotine, elle rentre dans l'établissement, elle rejoint sa classe d'éducation civique. Elle déteste cette matière, mais pour une fois, elle ne la sèche pas. Les ordres, les règlements, les obligations et le gouvernement... Tout ça, ce n'est pas pour elle. Elle est indépendante, elle ne vit que selon ses propres règles, alors pourquoi lui inculquer celles des autres ? Par principe, d'après ce qu'ils disent. Encore des principes, toujours des principes... Il n'y a que les siens, qui comptent réellement.

Elle pousse la porte, balance le mégot dans la poubelle, et traîne des pieds jusqu'à son bureau individuel. Le silence règne en maître dans la pièce. On la dévisage, la jauge méchamment, et pourtant, aucun commentaire. La professeure est tellement exaspérée par le comportement de sa cadette qu'elle ne lui demande même pas le motif de ce retard. De toute façon, elle pourrait toujours essayer, la réponse serait toujours la même : cinglante et fausse. Un mensonge sulfureux pour les faire taire, tous. La blonde s'assoit, et mâche son chewing-gum tout en sortant un bouquin. Éducation civique donc. « Aujourd'hui, nous allons aborder un sujet tabou qui n'est autre que le mariage, et l'adoption dans un couple composé de deux personnes du même sexe. » Derrière ses lunettes d'aviateur noires, Sam reste indifférente. Okay, c'est un sujet d'étude comme un autre, après tout. « Heureusement, l'experte en la matière nous fait honneur de sa présence ! » Une voix sifflante, les yeux qui roulent au ciel, la brune de devant. Mandy la peste, Mandy un d'QI. Un sourire moqueur étire les lèvres de la jeune Alcatraz, qui se sait cible de ce pic. Allons donc, elle veut entrer sur ce terrain ? Soit. La blonde s'avance sur sa chaise, de manière à approcher ses lèvres de l'oreille de sa camarade de classe. « Je pensais que tu voulais qu'on garde ça entre nous, mon coeur. » La brune mine avec exagération un air dégoûté, ce qui fait sourire un peu plus Sam. C'est bon, le cours peut commencer ? Apparemment non. « Oh, que tu vendais ton corps au plus offrant après les cours ? Non, je ne l'ai encore dit à personne. Mais de toute façon, tout le monde le sait, c'est une tradition dans la famille, pas vrai ? » La brunette vient de jouer sur une corde sensible. Sam s'efforce de garder le sourire, car après tout, c'est le meilleur moyen de faire passer la pilule.

Elle ne peut pas prendre plus d'heures de colle, elle n'en a pas envie. Elle ne peut malheureusement pas jouer de ses poings en classe, alors elle attendra d'être dehors. Profondément énervée, la rebelle remballe ses affaires, et passe la bandoulière de son sac par-dessus son épaule. Sa décision est prise : elle quitte la classe. Certains sifflent dans son dos, elle les ignore. En revanche, la brune fait quelque chose qu'elle aurait dû s'abstenir de faire : mettre son pied en travers de la route de la blonde. Sam trébuche et tombe à terre, bien que posant ses mains par réflexe. L'insultant mentalement de tous les noms, elle se relève, et se retourne vers Mandy. « Alors Alcatraz, on est maladroite ? » L'interpellée ricane, sadique. Elle s'approche avec un large sourire aux lèvres de sa camarade, et envoie sans préavis son poing dans le nez de cette dernière. La brune s'affaisse sur son bureau, pissant le sang par les narines, en train de geindre comme une truie qu'on égorge. Sam sourit elle, victorieuse. « Pétasse. »Elle fait une révérence à l'intention de sa victime, puis à sa professeure. Et elle se retire en courant, filant à toute allure dans les couloirs du lycée.

Les bouteilles de bière tombent, et ils éclatent de rire, tous. La bande toute entière, des amis, et des inconnus se mêlent dans les conversations autour d'une table, buvant, fumant, se droguant pour certains. Nouveau verre pour Sam. « Putain, arrêtez, je conduis moi. » Balance-t-elle d'un air plus que sérieux. Tout le monde à cette table se tait, et la regarde. Elle les dévisage tous, un à un, avant d'éclater de rire, et de boire cul-sec sa nouvelle commande, les autres rigolent en échos. Combientième verre ? Aucune idée, mais certainement pas le dernier ! Ils en ont tous un de trop dans le nez, et ça les fait bien marrer. Ils transpirent la joie de vivre, ils puent la clope, et jouent aux cartes. Le perdant a un gage. Du haut de ses dix-sept ans, Alcatraz l'emporte à tous les coups. Pas très loyalement, certes... Mais les autres sont bien trop bourrés pour s'en rendre compte. Deux heures du matin sonnent. Il serait peut-être temps d'y aller ? Enfin, c'est pas comme si la mademoiselle Bekerley allait s'inquiéter pour sa fille... La bonne blague. « Bon, les moules, j'me casse d'ici moi, comme j'ai dit, j'conduis. Et même si j'ai d'jà trop bu pour conduire bah... J'pas trop envie d'empirer mon cas si je me fais choper par les flics. Qui que je ramène, heeeiin ? » Sam se lève, toute souriante, et ouvre grand les bras. Beaucoup de ses potes lèvent les mains, elle file gaiement hors du bar, suivie par la clique.

Arrivée sur le parking, elle sautille jusqu'à sa caisse. Enfin, le seul héritage que son père lui a laissé : une veille mustang qu'elle tente de retaper quand elle peut. Elle ouvre la porte côté conducteur, et se retourne pour regarder qui donc elle doit ramener. Okay... Ils sont un peu trop. Il n'y a que cinq places, dans la voiture. Finalement, pas le temps de compter, quatre s'engouffrent à l'arrière, les uns sur les autres. Un monte devant, au siège passager, et Sam elle, passe côté conducteur. Plus qu'un à faire rentrer, mais où ? « Saaaaam ! Me laisse pas seuuuuul ! ». Elle est perplexe, elle ne sait pas où le mettre. Le coffre est plein. Remarquez, il n'habite qu'au bout du boulevard. Elle sort de sa voiture, et va ouvrir le coffre. Il peut s'asseoir au milieu, vu sa corpulence. Et c'est bien ce qu'il fait, alors que la blonde ferme sa portière, et regagne le volant. Sept dans une voiture de cinq places. Elle éclate de rire rien que d'y penser, et fait rugir le moteur. Il ronronne, bouillant, et elle, elle s'élance dans une course folle sur le plus long boulevard de Détroit.

Dans la caisse, ça hurle, elle, elle est morte de rire, et appuie un peu plus sur l'accélérateur. Est-ce que l'autre tient toujours sur le coffre ? Elle n'en sait rien, et sa visibilité est nulle sur le rétro. Elle accélère encore un peu, et hurle. Elle exprime sa liberté la plus totale, et pourtant, elle est de courte durée, vu que des lueurs bleues et rouges se font voir. Les flics. Qu'est-ce qu'elle fait, elle fonce ? Est-ce une bonne idée ? Certainement pas. Le fait-elle ? Bien sûr que oui ! Arrivée aux trois quarts du boulevard, elle se voit obligée de se ranger sur le côté. Les mains sur le volant, elle regarde l'homme en uniforme venir près de la fenêtre. Le flic tape sur la vitre du bout de sa lampe torche, alors elle baisse la vitre, et s'accoude au cadre de cette dernière. Elle passe ses lunettes sur sa tête, et regarde l'homme en bleu. « Papiers s'il... » Elle l'interrompt, car elle fait rugir le moteur, couvrant ainsi la voix de policier. Et elle recommence, à chaque fois qu'il veut parler, résultat, il ne peut en placer une. Car si ce n'est pas le moteur qui couvre sa voix, c'est bel et bien les éclats de rire des passagers. Sam est insolente. Mais elle aime ça. Oh que oui, elle aime ça.

Le flic lui demande plusieurs fois de sortir du véhicule, elle a pour simple réponse au bord des lèvres un « Je t'emmerde. » Le doyen, plus qu'agacé par cette clique de jeunes complètement saouls, ouvre la porte, et fait sortir de force la jeune Alcatraz. Peu docile, elle se débat, et finit par envoyer un coup de tête dans le nez du policier. Les autres rigolent, et mine de rien, elle lui brise le nez. Elle peut très bien repartir. Hé bien non, puisque l'autre poulet vient en renfort, et la plaque contre le capot brûlant de la mustang. Elle grommelle quelque chose, provocatrice. Et merde.

Assise sur le banc dans cette cellule, ils la regardent tous bizarrement. En garde à vue pour la nuit... Super. Elle les jauge un à un. Des criminels. Tout comme elle : insulte à agent, et coups et blessures. Ça la fait bien rire, intérieurement. Elle essuie le sang qui borde sa lèvre, et reste sur ses gardes. Quelqu'un vient s'asseoir à côté d'elle. Elle ne lève pas le regard qu'elle entame déjà la conversation. « Je ne suis pas intéressée, ni par la cam que t'as à me refourguer, ni par ce que tu as entre les jambes, dégage. » Il semble ricaner, elle le regarde. Qu'est-ce qu'il y a de drôle, hein ? Elle est très sérieuse, pour le coup, et elle garde ses lunettes noires sur son nez. Qu'il la lâche. Où elle va lui faire lâcher prise. « Du calme la tigresse. C'est toi qu'a pété l'nez du patrouilleur ? » Elle soupire, et le détaille. « Ouais, pourquoi, tu veux la même chose ? » Il sourit franchement, sincèrement. Qu'il en vienne au fait, avant qu'elle ne change de pédagogie. « Tu cherches un boulot ? ». Elle se retourne un peu, et relève ses lunettes sur son front, la luminosité change. « Mais qu'est-ce que tu me veux merde ? Et t'es qui d'ailleurs ? Hein ? » C'est vrai. C'est pas comme s'il sortait de nulle part. Et ce n'est pas car il est mignon qu'elle est prête à se jeter dans ses bras, bien au contraire. « Clayton Davis. Mais tout le monde m'appelle Clay. J'suis chasseur de primes. » Un chasseur de primes. Voilà qui attire l'oreille de la blonde. « Et tu me proposes quoi, au juste ? » Il soupire, et se rapproche un peu, comme dans la confidence d'un sujet sensible. « Apprends le métier fait équipe avec moi. T'as tout pour. » Elle reste figée, dubitative. « Et qu'est-ce qui m'dit que je peux te faire confiance ? » Il se relève, et s'approche du flic qui tient la garde devant la grille. Une heure plus tard, le garde grassement payé, Sam et Clay se cassent de ce trou en toute discrétion. Sa vie allait enfin changer.

Heads you live, tails you die. Chaque jour de sa vie de chasseuse de primes, sa pièce est lancée. Une chance sur deux. Cinquante - cinquante. La vie, ou la mort. Son destin jusque aujourd'hui, avait toujours été de vivre. Celui de Clayton aussi, visiblement. Quatre ans qu'elle le connaît, quatre longues années qu'elle est sur le circuit des chasseurs. Quatre ans qu'il est son ami, son mentor, son amant. Quatre ans qu'ils agissent en binôme, qu'ils flirtent avec la mort, un peu plus, à chaque rendez-vous. À l'âge de vingt et un an, elle est déjà une machine à tuer redoutable. Couteaux, fusils, combat à mains nues. Mademoiselle Bekerley ne reconnaît plus sa fille. Aujourd'hui, les deux chasseurs ont rendez-vous dans le quartier Nord de Détroit. Une vielle bicoque qui abriterait une de leur cible. Le contrat, assez détaillé, avait donné l'état des lieux : un homme seulement. Descendant de la voiture, ils chargent les fusils, et prennent les différentes entrées. Un coup d'oeil, un geste. Et ils entrent.

Rien ne se passe jamais comme prévu. Et je sais pertinemment que nous sommes tous destinés à rendre l'âme un jour ou l'autre, c'est ainsi, et on ne peut rien contre. Mais peut-on prévoir quand ? Pourquoi ? Comment ? Non. C'est justement cette imprévisibilité qui fait de la mort ce qu'elle est : inattendue. Est-ce la mort qui attend les deux derrière cette porte ? Aucune idée. Certainement. Une chance sur deux : heads you live, tails you die. Rentrés dans la pièce principale, les deux se rendent compte qu'il n'y a pas un homme à abattre, mais toute une clique. Ils se sont fait rouler. Le temps que les cibles réagissent, les deux en ont déjà abattu trois. Y'a encore du nettoyage à faire, ils sont bien plus nombreux que prévu. Les potentielles victimes dégainent déjà leurs flingues, et là, il n'y a plus rien à comprendre, à part le fait que Sam et Clay ne s'en sortiront pas cette fois. La blonde chope le gars le plus proche, et pose le canon de son fusil dans sa nuque. Tu bouges, elle t'éclate. C'est clair, les deux sont dans une impasse, et le silence retombe dans la pièce. « Laissez-nous partir ou je lui fais péter la cervelle, clair ? » Annonce-t-elle désespérément. Les autres ricanent. Ils ne la prennent pas au sérieux ? Elle jette un coup d'oeil inquiet à Clayton. Alors, t'as pas une idée, toi ? Il semble sans espoir. En signant ce contrat, ils ont clairement signé leur arrêt de mort.

Le chasseur fait comprendre à sa partenaire qu'elle doit s'enfuir, au moment venu. Elle ne veut pas. Ils s'enfuient tous les deux, ou pas du tout, d'après elle. Discrètement, elle fait non de la tête, mais il insiste. Tout va trop vite. Les balles filent à travers les pièces, des deux côtés, des deux camps. Clay tombe, Sam s'affaisse contre un mur, mal en point. C'est fini. Tout est fini, le conte de fées est fini. Adieu m'man, adieu Clay. Elle se traîne jusqu'à lui, derrière un sofa, et le prend contre lui. Allez, ferme les yeux, laisse toi aller, on a perdu. Pars à la dérive, et ne reviens plus. Le monde est cruel, la vie est triste. Laisse-toi envoûter par les promesses d'une mort douce. Des traces noires, mélange incertain de maquillage et d'eau glissent le long de ses joues, alors qu'elle aperçoit une porte ouverte en face. Il est là, son salut. Elle attrape son coéquipier sous son bras, et le traîne jusqu'à l'extérieur, alors que les coups pleuvent non loin. Elle met les clés dans le contact, et démarre en trombe. Ils prennent la fuite.

Sur la route, il la regarde. Ses yeux sont vides, son souffle est court. Elle reste forte, elle doit gagner l'hôpital le plus proche. Sauf qu'il ne respire plus, quelques mètres plus loin. Elle sort de la voiture, et le sort par la même occasion, pour faire état de ses blessures. « Je vais mourir, hein. » Mais non, tu ne vas pas mourir. Bien sûr que non, elle lui répète, paniquée. Elle pleure comme elle n'a encore jamais pleuré. Et finalement, il se laisse aller, il s'en va, et elle reste ici. Elle hurle à ses côtés, comme une veuve effarouchée. Alors, c'est ainsi qu'elle perd tout ce qu'elle avait. Un ami. Un mentor. Un amant. Face tu vis, pile tu meurs. Son destin à lui était de mourir. Son destin à elle était de vivre.

Le temps estompe les cicatrices, mais ne fait pas disparaître les vielles blessures. Sam est comme un loup profondément torturé, blessé qui sort les crocs pour se défendre d'une dernière attaque. Deux ans maintenant, qu'elle a perdu Clayton. Deux ans qu'elle tue sans aucune pitié, qu'elle s'est forgée une carapace sans faille. Deux courtes années depuis lesquelles elle ne pose plus de question sur le contrat. Juste le nom de sa victime, c'est tout ce dont elle a besoin. Elle en est presque devenue sans coeur, froide. On lui demande, elle exécute. Plus que jamais, elle est anarchiste. Plus que jamais, elle leur répond d'aller tous se faire voir. Agressive, farouche, elle erre dans Détroit à la recherche de ceux qui l'ont tué, son coéquipier. Elle passe peut-être pour un monstre, aux yeux de certains... Et qu'est-ce qu'elle en a à faire ? Elle leur crache au visage, leur présente son majeur dans sa plus belle posture. Marginale, rebelle, elle n'est plus comme avant. Toujours aussi tête brûlée, aussi insolente... Mais il lui manque quelque chose. Un vide qu'elle n'arrive plus à combler. Quelque chose d'elle qu'il a emporté quand il est parti.

Elle essuie le sang sur sa joue, et déverse le contenu du jerrycan sur le cadavre devant elle. Elle allume sa clope, et laisse tomber l'allumette sur le défunt. Et elle s'en va, car elle a fini son travail. Et elle s'en va, solitaire. Elle n'a pas de temps à perdre, elle doit vivre à fond. Car si son destin était aujourd'hui de vivre, qu'en sera demain ?